Une équipe de paléontologues et géologues français, américains et turcs dirigée par des chercheurs du CNRS [1] révèle l’existence d’un continent oublié, qui couvre aujourd’hui les actuels Balkans et l’Anatolie. Baptisé Balkanatolie et jadis peuplé d’une faune très particulière, il aurait permis aux mammifères venus d’Asie de coloniser l’Europe il y a 34 millions d’années. Ces résultats sont publiés dans le volume de mars 2022 d’Earth Science Reviews.

  • Une équipe de géologues et paléontologues révèle l’existence de la Balkanatolie, qui était il y a 50 millions d’années un continent de basses terres séparé de l’Europe et de l’Asie.
  • Il était alors peuplé d’une faune endémique très différente de celles de l’Europe et de l’Asie.
  • Des changements géographiques survenus voici 34 à 40 millions d’années ont relié ce continent à ses deux voisins, ouvrant la voie au remplacement des mammifères européens par les mammifères asiatiques.

Pendant des millions d’années au cours de l’Éocène (il y a 55 à 34 millions d’années), l’Europe occidentale et l’Asie orientale formaient deux masses terrestres distinctes avec des faunes de mammifères très différentes : les forêts européennes abritaient une faune endémique avec, par exemple, des paléothères (groupe éteint lointainement apparenté aux chevaux actuels, mais qui ressemblait davantage à nos tapirs), alors que l’Asie était peuplée de faunes plus cosmopolites comprenant les familles de mammifères que l’on trouve aujourd’hui sur ces deux continents.

On sait que vers 34 millions d’années, l’Europe de l’Ouest a été colonisée par des espèces asiatiques, conduisant à un renouvellement majeur des faunes de vertébrés et à l’extinction de ses mammifères endémiques : un événement brutal qualifié de « Grande coupure ». De manière surprenante, des fossiles trouvés dans les Balkans indiquent la présence de mammifères asiatiques dans le sud de l’Europe bien avant la Grande coupure, suggérant une colonisation plus précoce.

Une équipe dirigée par des chercheurs du CNRS apporte une réponse à ce paradoxe. Pour cela, elle a passé en revue des découvertes paléontologiques antérieures, certaines remontant au XIXe siècle, en réévaluant parfois leurs datations à la lumière des données géologiques actuelles. Cet examen révèle que durant une grande partie de l’Eocène, la région correspondant aux Balkans et à l’Anatolie actuels était dotée d’une faune terrestre homogène, mais distincte de celles de l’Europe et de l’Asie orientale. Cette faune exotique comprenait par exemple des marsupiaux d’affinités sud-américaine et des embrithopodes (de gros mammifères herbivores ressemblant à des hippopotames) que l’on trouve anciennement en Afrique. La région devait donc constituer une unique masse terrestre, séparée des continents voisins.

L’équipe a aussi découvert en Turquie une nouvelle localité fossilifère (Büyükteflek) datée de 35 à 38 millions d’années livrant des mammifères d’affinités clairement asiatiques, les plus vieux connus à ce jour en Anatolie. Il s’agit de fragments de mâchoires ayant appartenu à des animaux ressemblant à de gros rhinocéros, les brontothères, qui se sont éteints à la fin de l’Eocène.

L’ensemble de ces informations permet d’ébaucher l’histoire de ce troisième continent eurasiatique, coincé entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, et dénommé par l’équipe « Balkanatolie ». Déjà en place il y a 50 millions d’années [2] et doté d’une faune unique, il a été colonisé voici 40 millions d’années par des mammifères asiatiques à la faveur de changements géographiques qui restent à élucider. Il y a 34 millions d’années, c’est sans doute la grande glaciation responsable de la formation de la calotte Antarctique qui, en abaissant le niveau marin, a relié la Balkanatolie à l’Europe occidentale et donné lieu à la « Grande coupure ».

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Carte montrant la Balkanatolie il y a 40 millions d’années et aujourd’hui.
Crédit : Alexis Licht & Grégoire Métais
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Site fouillé en Turquie (Büyükteflek)
Crédit : Alexis Licht & Grégoire Métais
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Molaire supérieure d’un mammifères brontothère d’origine asiatique.
Crédit : Alexis Licht & Grégoire Métais

Voir en ligne : Le communiqué sur le site du CNRS

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