Dans la nuit du 10 au 11 mai 2024, les observateurs du ciel nocturne ont été les heureux spectateurs d’un spectacle exceptionnel : des aurores boréales intenses ont illuminé tout le territoire français (Figure 1), une première depuis près de 20 ans. Cet orage auroral, qui a duré près de 20h, a pu ensuite être admiré par le public nord-américain.
Au-delà d’un spectacle poétique, les aurores sont la partie visible d’une chaîne processus physiques fascinants, qui se déploient ailleurs dans le système solaire et au-delà, dont la compréhension mobilise une large communauté de chercheurs, mais qui fait aussi souvent l’objet de simplifications réductrices et de confusions, notamment dans la presse.
De la lumière dans la haute atmosphère
Les aurores polaires, boréales au nord et australes au sud, sont des émissions lumineuses qui se produisent dans la haute atmosphère entre 80 km et plusieurs centaines de km d’altitude au voisinage des pôles magnétiques, auxquels renvoie l’adjectif « polaire ». Vues depuis l’espace, elles se concentrent le long de deux ovales de haute latitude connectés magnétiquement, dont la position moyenne est située entre 60° et 70°. Les aurores sont produites par l’afflux vers la Terre de particules énergétiques chargées électriquement, autrement dit des électrons et des ions, qui peuplent la cavité magnétique qui l’entoure et que l’on nomme la magnétosphère (schématisée à la Figure 2). Quand ces particules chutent dans l’atmosphère – plus elles ont d’énergie, plus elles pénètrent bas – elles transfèrent une partie de leur énergie cinétique aux atomes et aux molécules locales qui la réémettent sous forme de lumière. Les couleurs observées dans le domaine visible et leur altitude sont ainsi caractéristiques de la composition chimique de notre atmosphère : les émissions verte et rouge sont produites par l’oxygène atomique à basse et haute altitude, les émissions rouge et bleu/violet par l’azote moléculaire neutre ou ionisé plutôt à basse altitude (Table 1).
Un traceur de l’interaction soleil-terre
Intéressons-nous maintenant à l’origine des particules qui produisent les aurores, qui n’a été comprise qu’après l’avènement de l’ère spatiale. On peut souvent lire les aurores sont produites directement par les particules du vent solaire, ce n’est pas exact (voir cette compilation d’idées fausses sur les aurores de F. Mottez). Elles proviennent, on l’a dit, de la magnétosphère. Cette cavité est produite par l’interaction entre le champ magnétique terrestre et le vent solaire, ce flot magnétisé de particules chargées qui irrigue en permanent le système solaire. Comme illustré sur la Figure 2, elle est compressée côté jour, où elle s’étend à plus 10 rayons terrestres, et allongée côté nuit. La magnétosphère est alimentée en particules chargées par deux réservoirs : la plus modeste est la haute atmosphère ionisée terrestre (l’ionosphère), la plus importante est le vent solaire dans une circonstance particulière que l’on verra plus bas. Lors de leur circulation dans la magnétosphère, ces particules peuvent facilement acquérir suffisamment d’énergie pour atteindre l’atmosphère. Des aurores sont donc produites quasiment en permanence, mais leur faible intensité et/ou leur grande altitude les rend généralement peu aisées à observer depuis le sol. Néanmoins, l’activité aurorale s’intensifie périodiquement avec des arcs brillants et intenses lors d’épisodes qu’on appelle des « sous-orages » et dont le déclenchement dépend d’un ingrédient principal : l’orientation du champ magnétique solaire au niveau de la Terre.
La magnétosphère terrestre est étanche au vent solaire sauf lorsque son champ magnétique est orienté vers le sud. Lorsque cela se produit, une connexion magnétique s’établit et permet aux particules du vent solaire de pénétrer dans la magnétosphère. Ces particules sont transportées au-dessus des pôles et s’accumulent à l’équateur du côté nuit de la magnétosphère d’où elles sont accélérées par bouffées vers la Terre, produisant des aurores intenses du côté nuit qui s’étendent en latitude. Ce cycle de sous-orages décrit en quelques lignes est un phénomène physique complexe étudié par les chercheurs depuis plus d’un demi-siècle et dont la compréhension a été l’objectif de nombreuses sondes spatiales, dont les flottilles de sondes Themis et MMS sont les dernières en date. La figure 3 montre un exemple d’aurores lors du développement d’un sous-orage.
Le vent solaire peut également, mais beaucoup plus occasionnellement, produire des aurores particulièrement intenses encore lorsqu’il compresse violemment la magnétosphère terrestre, on parle alors d’orage géomagnétique, qui induit des sous-orages et des aurores intenses descendant aux basses latitudes. C’est ce qui s’est passé lors de la journée du 10 mai, lors de laquelle la morphologie des aurores dans l’animation de la figure 4 a été photographiée par des sondes spatiales, et sur laquelle on voit bien des aurores brillantes descendre en deçà de 50° de latitude. Deux jours auparavant, le soleil avait émis une série de six éjections de masse coronale, des bulles de plasma denses et rapide qui ont fusionné pour atteindre la Terre à la mi-journée du 10 mai et provoquer un orage géomagnétique majeur (de classe G5), le plus intense depuis 2003.
Heureux qui comme Ulysse
Ces orages auroraux sont donc directement liés à l’activité solaire et les deux prochaines années, correspondant au prochain pic d’activité solaire, devraient fournir leur lot d’éruptions solaires majeures : autant d’occasions d’observer dans le ciel les manifestations de l’interaction du champ magnétique de notre planète avec le vent de plasma de notre étoile. Les amateurs peuvent suivre l’activité solaire et aurorale en temps réel à l’aide de sites internet dédiés tels que https://www.spaceweatherlive.com.
Mentionnons également que les émissions aurorales s’observent dans d’autres domaines de longueur d’onde (radio à X) sur Terre et plus généralement sur les planètes et étoiles magnétisées, dont elles permettent d’étudier la magnétosphère. Ces processus auroraux ont été analysés en détails sur les planètes géantes avec des sondes polaires telles que Cassini/Juno ou le télescope spatiale Hubble ou pour des étoiles lointaines avec des grands radiotélescopes au sol. Leur étude est un axe de recherche au LAM.
Un risque pour l’industrie
Une conséquence plus concrète des compressions de la magnétosphère sondées par exemple par l’observation des aurores est l’impact que l’activité solaire peut avoir pour les activités humaines. L’observation et la prédiction de l’activité solaire à la Terre a ainsi donné naissance à une discipline nommée météorologie de l’espace, définie ainsi par l’agence spatiale européenne « La météorologie de l’espace étudie les conditions environnementales dans la thermosphère, l’ionosphère, la magnétosphère terrestres causées par le Soleil et le vent solaire et qui peuvent affecter le fonctionnement et la fiabilité de systèmes ou services au sol ou dans l’espace, ou mettre en danger les biens ou la santé de l’homme ». Différents acteurs de la recherche française sont impliqués sur ces aspects, qui dépassent le cadre de cet article, comme l’organisation française pour la recherche applicative en météorologie de l’espace.
Laurent Lamy, Astronome-adjoint, LAM / Aix-Marseille Université et LESIA / Observatoire de Paris.