Podcast
Intervenant : Thierry Gauquelin – Ecologue à l’IMBE (OSU Pythéas / AMU, CNRS, Avignon Université, IRD)

Transcription
L’espérance de vie de nos compatriotes, diminuée ou non par la pandémie, est aujourd’hui au cœur des discussions. Elle renvoie cependant à la question de la longévité, inscrite dans leur patrimoine génétique, des espèces animales ou végétales, en tentant d’en percer les secrets.
Ainsi chez les animaux l’attention s’est notamment portée sur les protées, ces étranges et fascinants amphibiens cavernicoles, pesant une vingtaine de grammes et capables de vivre jusqu’à une centaine d’années, aussi longtemps qu’un éléphant.
Mais ce sont aussi vers les arbres qu’il faut se tourner. Parmi ceux-ci, les fameux Pins aristés de Californie détiennent les records d’âge, avec des individus vivants de 4500 voire 5000 ans, contemporains donc des pyramides d’Egypte.
Ces pins, pour les américains ces GBBP, Great Basin Bristelcone Pines, de l’espèce Pinus longaeva, s’épanouissent entre 3000 et 3800 m d‘altitude sur les sommets arides balayés par le vent des White Mountains, marquées par à la fois le froid hivernal intense et la sécheresse estivale. C’est le célèbre Dr. E. Schulman, qui en 1957, compta 4600 cernes – les anneaux de croissance – annuels sur l’un des pins de ces montagnes, créant la sensation en identifiant le plus vieil arbre vivant de notre planète, le bien nommé Mathusalem. Ceci mit aussi en lumière l’intérêt de la dendrochronologie basée sur l’étude de ces cernes, véritables pages d’histoire permettant ainsi une reconstitution du climat depuis près de 8000 ans. Cependant, un autre Pin aristé, surnommé Prometheus, cette fois natif des montagnes du Nevada, plus à l’Est, a été crédité de plus de 5000 ans d’âge… mais il en est mort. En effet, en 1964, dans le cadre d’une étude sur le petit âge glaciaire, un jeune étudiant, Donald Currey, repère cet arbre déjà connu des spécialistes et l’abat pour pouvoir facilement compter les cernes sur la section du tronc. Le record d’âge tombe en même temps que l’arbre disparaît ! Et Mathusalem reste le plus vieil arbre vivant !
Nul besoin d’ailleurs de voir ce vénérable Mathusalem, pas plus impressionnant que les autres, pour apprécier ce paysage grandiose des White Mountains. Des arbres tortueux, aux troncs torsadés et complexes, où l’écorce décapée par des siècles de blizzard a laissé la place aux veinures d’un bois hésitant entre le noir, le jaune et le blanc. Des arbres timides, adeptes de distanciation sociale, espacés régulièrement entre des plages de cailloux dolomitiques, certains vigoureux et verts, d’autres n’ayant à grand peine conservé que quelques rameaux couverts de courtes aiguilles et d’autres encore, morts, fantômes ou candélabres, imputrescibles gardiens séculaires d’un espace hors du temps.
Mais comment vivre si vieux surtout quand l’environnement est hostile ?
La stratégie repose sur 3 règles, sublimées par le Pin aristé : éviter la concurrence, s’économiser et s’accommoder.
Eviter la concurrence, c’est tout d’abord éviter celle d’autres espèces d’arbres. Ces pins sont ainsi les seuls à pouvoir se développer sur ces sols dolomitiques squelettiques pauvres en nutriments. Mais il faut aussi limiter la concurrence des congénères. Les pins sont suffisamment espacés les uns des autres pour ne pas se faire d’ombre au sens propre comme figuré. Le réseau racinaire de chacun des individus explore un cercle de sol autour de l’arbre qui n’empiétera pas sur celui du voisin. Autre avantage à cette distance presque réglementaire, un feu provoqué par la foudre atteignant un des arbres ne se propagera pas à l’ensemble du peuplement, et ce, d’autant plus que la végétation basse entre les arbres est assez éparse. Reste cependant la concurrence des insectes, champignons, bactéries, s’attaquant à l’appareil végétatif et reproducteur. Ces pins produisent des quantités importantes de métabolites dit spécialisés, des terpènes, des phénols, des cires, des résines qui sont autant de substances antibiotiques qui vont limiter voire interdire le développement de tous ces parasites ou xylophages.
Quand vous n’avez pas de concurrence, vous n’avez pas besoin de pousser plus vite que les autres et l’on peut donc s’économiser, deuxième règle d’or. Le Pin aristé, qui n’atteint jamais des hauteurs importantes est l’une des essences arborées dont la croissance est la plus lente ! Du coup nul besoin d’avoir des aiguilles réalisant une photosynthèse ultra performante. Le Pin aristé conserve ces aiguilles beaucoup plus longtemps que les autres espèces de pins ; elles peuvent rester sur l’arbre pendant 20 à 30 ans, alors que les autres pins changent leurs aiguilles tous les deux ou trois ans. Bien sûr ces très vieilles aiguilles, couvertes de poussières, attaquées par l’ozone, le gel et les rayons du soleil, seront certes beaucoup moins performantes que des neuves mais cette énergie que l’arbre n’a pas mis dans la fabrication de nouvelles feuilles, il peut l’investir dans le métabolisme spécialisé.
S’économiser c’est enfin limiter sa production de cônes et de graines. Quand on a le millénaire devant soi, se reproduire tous les ans est inutile. Une ou deux fenêtres de régénération durant un siècle sont sans doute suffisantes pour assurer un renouvellement de la population.
Enfin, il faut pouvoir réagir face à des perturbations, s’en accommoder, car des événements fortuits ne manqueront pas d’arriver durant les 4 000 ans d’une vie qui ne sera pas un long fleuve tranquille. La sectorisation de l’appareil conducteur, que l’on retrouve chez les très vieux genévriers des falaises des gorges de l’Ardèche ou du Verdon, permet de survivre suite à une destruction partielle de l’arbre qui n’a préservée qu’une partie très réduite des tissus conduisant la sève.
Ces arbres millénaires peuvent-ils inspirer l’humain ? Dans nos sociétés modernes, la frugalité, la répartition harmonieuse de l’espace et l’absence de concurrence ne sont malheureusement pas de mise. Et puis, l’espèce humaine n’a pas des dizaines de millions d’années d’évolution qui ont forgé la longévité de ces pins !