Le vote du règlement européen relatif à la restauration de la nature en 2024 a mis en évidence l’importance de la restauration écologique des écosystèmes pour lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité. Les techniques de restauration écologique sont multiples, impliquant des interventions de génie civil, ainsi que des solutions fondées sur la nature telles que la réintroduction d’espèces ingénieures des écosystèmes. Cependant, cette dernière méthode présente des risques pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes, surtout lorsque les interactions entre espèces sont mal maitrisées. En effet, la réintroduction d’espèces, qu’il s’agisse de renforcer des populations existantes ou d’en introduire de nouvelles, peut créer des déséquilibres écologiques en perturbant les habitats (modification, création, destruction…).

Face à ces risques, des chercheurs de l’IMBE, en collaboration avec la Société des Carrières de la Ménudelle (SCLM), ont testé une nouvelle approche, consistant à utiliser les productions naturelles des espèces elles-mêmes, notamment leurs déchets. L’équipe a ainsi épandu des dépotoirs de nids de fourmis moissonneuses (Messor barbarus L.) dans des prairies sèches méditerranéennes, en remplacement du semis de mélanges d’espèces commerciales ou du transfert de foins. Cette méthode, qui vise à restaurer ces prairies suite aux dégradations que l’agriculture intensive et l’exploitation de carrières ont pu occasionnées,repose sur le fait que les fourmis, en tant qu’ingénieurs écologiques, jouent un rôle clé dans la dynamique de l’écosystème. Elles collectent des graines et les déposent dans leurs dépotoirs, où elles sont stockées et mélangées avec des enveloppes et des graines non consommées.

Les résultats après six mois montrent que les sites tests, qu’ils soient en terrines sous serre ou sur le terrain, présentent une végétation plus riche et plus proche de l’écosystème cible que les sites ensemencés avec un mélange de graines commerciales. En outre, l’épandage de dépotoirs de nids récoltés localement s’avère complémentaire aux opérations de transfert de foins, car les fourmis y déposent des graines d’espèces annuelles de petite taille non collectées par les engins mécaniques lors de la récolte des foins, lesquels ramassent plutôt des espèces herbacées de grande taille.

Ces résultats s’expliquent en partie par le fait que les fourmis moissonneuses concentrent dans leurs dépotoirs une grande quantité de graines viables d’espèces différentes récoltées aux abords de leurs nids (que ce soit une stratégie alimentaire ou plus simplement un processus de tri peu efficace), rapprochant ainsi spatialement la future production de graines l’année suivante.

Cette approche représente donc une méthode de restauration prometteuse, à faible impact environnemental et à coût réduit. Ces dépotoirs constituent de véritables « sachets de graines » riches en espèces de l’écosystème à restaurer. Collectés facilement sur le terrain, ils offrent une solution simple et efficace pour restaurer les prairies méditerranéennes dégradées, et ce, sans perturber davantage les écosystèmes locaux. Cette démarche pourrait être adaptée à d’autres écosystèmes, en fonction du type de dégradations subies et des objectifs de restauration visés. 

Restauration expérimentale d’une prairie sèche méditerranéenne par épandage de dépotoirs de nids de fourmis dans une zone dégradée par l’exploitation d’une carrière.
Restauration expérimentale d’une prairie sèche méditerranéenne par épandage de dépotoirs de nids de fourmis dans une zone dégradée par l’exploitation d’une carrière. Crédit : Léa Saby, IMBE.