La sonde cométaire Rosetta de l’ESA a très récemment mesuré l’azote gazeux sous forme moléculaire (N2) dans la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko (dite “Chury”) (Rubin et al., Science, mars 2015*). Cette première mesure de l’azote cométaire montre toutefois que N2 n’est présent qu’en très faible quantité dans la coma, en comparaison avec le monoxyde de carbone, alors que ces deux molécules étaient supposées initialement être très abondantes dans la nébuleuse protosolaire. Cette « particularité » peut être expliquée par l’agglomération de clathrates par la comète au moment de sa formation, des cages de glace qui ont capturé les molécules volatiles présentes dans la nébuleuse tout en modifiant leur composition (mélange) au moment du piégeage. Cette conclusion a été obtenue sur la base de simulations numériques par une équipe de recherche fortement interdisciplinaire, conduite par des chercheurs issus du Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (CNRS / UB), le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (CNRS / AMU), de l’Institut UTINAM (CNRS / UFC) et de l’Institut de Physique de Berne (Université de Berne, Suisse). Leurs travaux, publiés dans la revue “The Astrophysical Journal Letters” permettent de montrer que la comète n’a pu se former que dans une plage de températures très basse, comprises entre 32 et 70 K, ce qui fourni des indices précieux sur les premiers stades de formation de notre système solaire.

La sonde cométaire Rosetta de l’Agence Spatiale Européenne est arrivée à proximité de la comète Chury en août 2014, après un voyage de dix ans dans l’espace. Elle analyse depuis la composition des gaz émis par la comète lors de la sublimation de la glace en particulier grâce à l’instrument ROSINA, un spectromètre de masse qui a la résolution requise pour distinguer des molécules qui ont des poids moléculaires presque identiques, ce qui est le cas du monoxyde de carbone (CO) et de l’azote moléculaire (N2). Or, la mesure réalisée début 2015 montre un rapport N2/CO qui est environ (en moyenne sur toutes les mesures) 87 fois plus petit dans l’atmosphère de la comète que celui attendu dans la nébuleuse protosolaire (nuage de gaz à partir duquel le système solaire s’est formé).

En faisant l’hypothèse que la comète Chury a été formée par agglomération de glace sous forme de clathrates, les chercheurs Français et Suisses impliqués dans la présente étude ont montré que ces structures de glace très particulières pouvaient avoir piégé sélectivement CO par rapport à N2. Ce résultat a été obtenu en mettant en œuvre des simulations numériques à l’aide de la méthode de Monte Carlo dans l’ensemble Grand Canonique, une méthode basée sur la physique statistique et le calcul de la probabilité de piégeage des gaz N2 et CO dans la structure du clathrate en fonction de leurs interactions avec les molécules d’eau.

En plus d’expliquer la très faible quantité d’azote moléculaire mesuré par rapport à la valeur attendue, cette étude permet également de déterminer une plage de températures très basses (entre 30 et 70 K) dans laquelle la glace cométaire a pu se former. En effet, le taux de piégeage de N2 par rapport à CO dépend fortement de la température dans les simulations et ces deux valeurs extrêmes de température correspondent à la plage des valeurs mesurées dans la comète pour le rapport N2/CO.

Avec la découverte de l’azote moléculaire dans la comète Chury par la sonde ROSINA et la détermination, par simulations numériques, de la température de formation de cette comète c’est une pièce du puzzle concernant le rôle joué par les comètes de la famille de Jupiter dans l’évolution du système solaire qui vient d’être posée. Toutefois le puzzle est loin d’être achevé. Chury se rapproche du Soleil et le dégazage de la comète va augmenter fortement ce qui devrait permettre la mesure de certains gaz à l’état de trace tels que les gaz rares et donner des contraintes supplémentaires sur la composition du mélange gazeux à l’origine des atmosphères des planètes internes.

Le scénario du piégeage sélectif de l’azote moléculaire par les clathrates est le fruit d’un travail interdisciplinaire entre physiciens, chimistes et astrophysiciens de trois instituts du CNRS (INSU, INC et INP), en collaboration avec les responsables de l’instrument ROSINA (Université de de Berne, Suisse) actuellement en phase d’exploitation sur la mission spatiale Rosetta/Philae en orbite autour de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko.

Localement, ce travail a été financé par un BQR commun aux Universités de Bourgogne et de Franche-Comté et s’appuie sur les liens forts que développent les chercheurs bourguignons et francs-comtois au sein de l’espace recherche de la COMUE UBFC nouvellement créée.

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