Les galaxies ne se répartissent pas aléatoirement dans l’univers. Certaines d’entre elles se retrouvent dans des amas qui peuvent en contenir des centaines. Les astrophysiciens savent depuis longtemps que l’évolution des galaxies dans ces amas doit être affectée par cet environnement particulier. En effet, on y trouve en proportion beaucoup moins de galaxies spirales (présentant un disque dans lequel de nouvelles étoiles se forment à partir du gaz du milieu interstellaire) que de galaxies elliptiques ou lenticulaires (contenant très peu de gaz). Les quelques galaxies spirales que l’on trouve dans les amas contiennent en général moins de gaz et de jeunes générations d’étoiles que les galaxies plus isolées. |
Plusieurs mécanismes ont été proposés pour expliquer ces différences. Premièrement, lorsque deux galaxies se croisent, des forces de marée (les parties plus éloignées de chaque galaxie subissent une force de gravité moins importante que les parties les plus proches, ce qui tend à « déchirer » la galaxie). Le deuxième mécanisme est la « pression dynamique » que subit le milieu interstellaire d’une galaxie qui traverse le gaz chaud et diffus que renferment les amas (cette force est similaire à celle que ressent par exemple un motard lancé à vive allure). Ces deux processus sont capables d’arracher le gaz des galaxies d’amas, et ainsi réduire la formation de nouvelles étoiles. Dans les galaxies spirales les plus massives, les théories les plus en vogue prévoient aussi un troisième mécanisme : l’énergie injectée dans le milieu interstellaire par le noyau actif qu’elles contiennent en leur centre peut aussi amener le gaz à s’échapper des galaxies.
L’identification du processus dominant est critique pour la mise au point des modèles et des simulations cosmologiques qui ont aujourd’hui une précision suffisante pour être comparable aux observations. Il est cependant très difficile d’observer le gaz alors qu’il est en train de quitter les galaxies en particulier en raison de sa faible densité. La mise à disposition d’un nouveau filtre très efficace pour détecter l’émission du gaz ionisé dans une raie de l’atome d’hydrogène (Halpha), sur la camera extrêmement sensible MegaCam du CFHT (Canada France Hawaï Telescope) offre aux astronomes un nouvel outil très performant pour la détection du gaz arraché aux galaxies par la pression dynamique.
Une équipe internationale dirigée par des chercheurs du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille (LAM – CNRS/Aix-Marseille Université) a utilisé cet instrument pour observer NGC 4569, la galaxie spirale la plus massive de l’amas de la Vierge, qu’elle est en train de traverser à plus de 1200 km/s. Cet amas est encore en formation et nous offre donc l’opportunité de voir la transformation des galaxies dans les amas « en direct ». L’image Halpha obtenue au CFHT montre pour la première fois que des queues spectaculaires de gaz ionisé s’étendent sur plus de 300 000 années-lumière, ce qui les rend environ 5 fois plus grandes que la galaxie elle-même. Cette observation confirme que la pression dynamique est en train de vider la galaxie de son milieu interstellaire. Une estimation de la masse de gaz dans ces queues démontre que le phénomène est si violent que 95 % du milieu interstellaire a déjà été arraché, réduisant donc fortement la capacité de la galaxie à former de nouvelles étoiles.
Pour une galaxie aussi massive que NGC4569, on aurait pu penser que les forces gravitationnelles seraient suffisamment fortes pour retenir le gaz subissant la pression dynamique. Dans les modèles cosmologiques, les chercheurs supposent en effet que c’est plutôt l’effet du noyau actif de la galaxie qui est responsable de la réduction de l’activité de formation stellaire des galaxies de cette masse. Les nouvelles observations démontrent au contraire que l’effet dominant est bien la pression dynamique. Une contrainte dont il faudra tenir compte dans les modèles cosmologiques intégrant l’effet de l’environnement des galaxies.
Ce résultat démontre aussi que le nouveau dispositif au CFHT est très efficace pour identifier les objets en train d’interagir par effet de pression dynamique avec le gaz chaud et diffus des amas. Cela nous ouvre une nouvelle voie très prometteuse pour la compréhension du rôle que l’environnement joue dans l’évolution des galaxies.
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’astrophysique de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université)
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responsable de la communication — Institut Pythéas (CNRS/IRD/Aix-Marseille Université)
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