Grâce au dernier catalogue du satellite Gaia de l’ESA, une équipe internationale1, conduite par des astronomes de l’Observatoire de Paris – PSL et du CNRS, obtient la mesure la plus précise de la masse de la Voie lactée. Faisant l’objet d’un article paru dans la revue Astronomy & Astrophysics, le 27 septembre 2023, cette étude ouvre la voie à d’importantes questions en cosmologie, en particulier sur la quantité relative de matière sombre contenue dans notre Galaxie.
La masse totale de la Voie Lactée est estimée à seulement 2,06 X 1011 masses solaires. Elle est donc réévaluée à la baisse, avec un facteur quatre à cinq fois moindre que des estimations antérieures qui la donnaient à 1012 masses solaires.
Cette nouvelle valeur a été obtenue grâce aux données du troisième catalogue du satellite Gaia paru en 2022, qui contient la totalité des trois composantes spatiales et des trois composantes de vitesses pour 1,8 milliards d’étoiles au sein de la Voie lactée.
La soutenable légèreté de la Voie lactée
Tirant partie de ces données, les chercheurs ont pu construire la courbe de rotation2 la plus précise jamais observée pour une galaxie spirale, en l’occurrence, la nôtre, et en déduire sa masse3. Avant Gaia, aucune courbe de rotation robuste n’avait pu être obtenue pour notre galaxie, à la différence de celles des galaxies spirales externes. Cela s’explique par notre position au sein de la Voie lactée, empêchant de distinguer précisément les mouvements et la distance des étoiles constituant son disque.
Dans l’étude qui parait le 27 septembre 2023 dans la revue Astronomy & Astrophysics, la courbe de rotation de notre galaxie se révèle atypique : elle n’est pas plate, à la différence de toutes celles mesurées pour les autres grandes galaxies spirales. Bien au contraire, au-delà du disque externe de la Galaxie, cette courbe se met à décroitre rapidement. En outre, cette décroissance de vitesse suit la prédiction dite « Képlérienne »4.
Un tourbillon provoqué dans la cosmologie
Obtenir pour la Voie lactée une courbe de rotation en décroissance Képlérienne nécessite de replacer l’objet dans un contexte cosmologique.
En effet, l’une des grandes découvertes de l’astronomie moderne fut d’établir que les mouvements autour des grands disques des galaxies spirales étaient bien plus rapides que ceux attendus par une décroissance Képlérienne. Dans les années 1970, les astronomes Vera Rubin, à partir d’observations du gaz ionisé, et Albert Bosma (aujourd’hui chercheur émérite au LAM), grâce au gaz neutre, avaient montré que la vitesse de rotation des galaxies spirales restait constante, bien au-delà de leur disque optique. La conséquence directe de cette découverte avait été de proposer l’existence d’une matière sombre, additionnelle à la matière observable, se distribuant dans un halo entourant les disques des galaxies spirales et constituant la plus grande partie de la masse des galaxies. Sans cette matière sombre, les courbes de rotation devaient suivre une décroissance dite “Képlérienne”, indiquant l’absence de matière à l’extérieur du disque optique.
C’est donc bien le cas de la Voie lactée. Comme la matière ordinaire (étoiles et gaz froid) est généralement estimée à un peu plus de 0,6 X 1011 masses solaires, la fraction de matière ordinaire représente un tiers de celle de la matière sombre, la masse de cette dernière étant seulement deux fois plus importante que celle de la matière ordinaire. Ce résultat constitue donc une révolution en cosmologie, puisque jusqu’à présent, il était convenu que la matière sombre, devait être au moins six fois plus abondante que la matière ordinaire.
Deux tentatives d’explication
Si la quasi-totalité des autres grandes galaxies spirales ne présentent pas de courbe de rotation avec une décroissance Képlérienne, pourquoi la nôtre serait-elle différente ?
La première possibilité pourrait venir du fait que la Voie Lactée est une galaxie ayant connu peu de perturbations liées aux collisions violentes entre galaxies, la dernière ayant eu lieu il y a environ 9 milliards d’années, contre une moyenne de 6 milliards d’années pour les galaxies spirales. Dans tous les cas, cela indique que la courbe de rotation obtenue pour la Voie Lactée est particulièrement précise, n’étant pas affectée par les résidus d’une si ancienne collision.
La seconde possibilité vient de la différence méthodologique entre la courbe de rotation obtenue à partir des données livrées en six dimensions par le satellite Gaia, et les mesures faites en gaz neutre pour la plupart des autres galaxies.
Ce travail ouvre la voie vers une réévaluation des courbes de rotation des grandes galaxies spirales et de leur contenu en matière ordinaire et sombre.
Philippe Amram, Professeur AMU au LAM
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