Aujourd’hui les glaciers de montagnes reculent dans toutes les régions du monde et ce recul est à 80% lié aux activités humaines, les 20% restant étant d’origine naturelle. La terre ayant connu par le passé des périodes chaudes d’origine naturelle, la situation actuelle est-elle exceptionnelle ? Pour répondre à cette question une équipe internationale de chercheurs provenant de différents laboratoires dont deux du CNRS Terre et Univers (voir encadré), a étudié l’évolution de glaciers tropicaux andins pendant l’Holocène, c’est-à-dire ces 11 700 dernières années, période au cours de laquelle les températures ont parfois été similaires à celles d’aujourd’hui. Les scientifiques montrent pourtant que le recul actuel des glaciers tropicaux andin est sans précédent par rapport à l’Holocène.
Les scientifiques ont analysé l’évolution plurimillénaire de glaciers tropicaux andins situés en Colombie, au Pérou et en Bolivie au cours de l’Holocène. La particularité de la période de l’Holocène est qu’elle est caractérisée par une longue phase chaude entre les 10 000 et 4 000 dernières années, appelée dans l’hémisphère nord le Holocene Thermal Maximum (HTM). Les chercheurs ont découvert que la taille actuelle des glaciers tropicaux andins est plus petite que celle qu’ils avaient pendant cette longue phase chaude de l’Holocène.
Pour documenter l’évolution des glaciers sur le temps long les chercheurs se sont concentrés sur le socle rocheux récemment déglacé par le recul des glaciers. Ils ont ensuite mesuré la concentration en isotopes cosmogéniques, en particulier le béryllium-10 et le carbone-14 in situ, contenus dans les échantillons de roche prélevés à proximité immédiate du front actuel des glaciers. En effet, ces deux isotopes, issus des réactions nucléaires provoquées par l’impact des particules du rayonnement cosmique sur les minéraux des roches, s’accumule une fois que le glacier se retire. Cela déclenche ainsi un “chronomètre géologique”. La glace, quant à elle, joue un rôle de bouclier et protège la roche de ce bombardement cosmique. En somme, la concentration en isotopes cosmogéniques dans la roche dépend du temps d’exposition au rayonnement cosmique et de l’érosion glaciaire qui décape les isotopes cosmogéniques accumulés en surface.
Dans les Alpes et dans d’autres régions du monde des analyses similaires réalisées par le passé ont montré des valeurs isotopiques fortes mesurées dans les roches. Ces taux élevés sont dus au fait qu’entre ~10000 et 4000 ans les glaciers alpins et leurs cousins situés dans l’hémisphère nord ont fortement reculé. Leur front était positionné à des altitudes légèrement supérieures à ce qui est observé actuellement. La roche a donc été bombardée pendant environ 6000 ans par le rayonnement cosmique permettent l’accumulation de 10Be et 14C dans celle-ci. Au cours de ces 4000 dernières années les glaciers ont connu des phases de crue arrêtant la production d’isotopes dans le socle rocheux. En utilisant un modèle d’écoulement glaciaire combiné à un modèle d’érosion et en comparant les valeurs isotopiques obtenues dans les roches andines avec celles déjà connues provenant d’échantillons prélevés dans les Alpes ou dans d’autres régions de l’hémisphère nord les chercheurs ont mis en évidence un taux isotopique extrêmement faible, quasi nul, accumulé dans les roches andines. Ce taux particulièrement faible s’explique par le fait que le front des glaciers tropicaux andins n’a jamais été situé à des altitudes aussi hautes au cours de ces 11700 dernières années. Autrement dit les glaciers tropicaux andins n’ont jamais été aussi petits qu’aujourd’hui.
Vincent Jomelli, Chercheur CNRS au centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE) / OSU Pythéas.