Un appel de la communauté scientifique en faveur d’un retour d’échantillons martiens

A l’heure où nous parlons, le rover Perseverance de la NASA s’apprête à réaliser son 28ème forage à la surface de la planète Mars. Depuis 4 ans, ce véritable couteau suisse scientifique a déjà parcouru plus de 30 km et collecté 27 cylindres de roches martiennes de la taille d’un stylo. Une fois qu’un total d’environ 40 échantillons seront collectés puis déposés à un point de rendez-vous, une mission gargantuesque appelée Mars Sample Return (MSR) menée par la NASA avec participation de l’ESA, a pour objectif de rapporter les échantillons sur Terre.

A cause de l’extrême difficulté à récupérer les échantillons sur Mars, ainsi qu’à assurer les conditions de quarantaine les plus strictes une fois sur Terre, le budget estimé de MSR dépasse aujourd’hui les 10 milliards de dollars. De quoi refroidir les décisionnaires des nations impliquées dans la mission. Afin d’encourager les agences spatiales et décisionnaires à poursuivre les efforts de MSR, des chercheurs du monde entier se sont unis pour détailler les nombreux arguments scientifiques en faveur de MSR dans une édition spéciale parue dans PNAS. Ils y posent les questions fondamentales auxquelles seuls des analyses de laboratoires pourront répondre, avec en tête la question ultime de l’habitabilité passée de la Planète Rouge. Parmi les disciplines représentées, le paléomagnétisme apparaît comme un outils clé pour la compréhension de l’évolution de l’intérieur, de la surface et de l’atmosphère de Mars.

Le magnétisme des roches martiennes

Mars est une planète magnétique. La croûte martienne est aimantée suite à l’existence d’un champ magnétique généré en son noyau il y a environ 4 milliards d’années, lorsque la surface était peut-être habitable. L’évolution et l’extinction de ce champ magnétique dit « champ de dynamo » pourraient avoir joué un rôle central dans l’évolution de l’atmosphère primitive de Mars. Une hypothèse importante est qu’une épaisse atmosphère martienne aurait disparu suite au déclin du champ de dynamo, provoquant la transition d’une planète chaude et humide à un monde aujourd’hui froid et sec.

Pour vérifier cette hypothèse fondamentale et nous éclairer sur les causes de la perte d’atmosphère de Mars, la nature et l’histoire du champ de dynamo et de l’aimantation crustale doivent être mieux comprises qu’elles ne le sont aujourd’hui. Cela ne peut se faire que par l’analyse d’échantillons anciens bien conservés, orientés, avec un contexte géologique disponible pour une étude en laboratoire.

Certains minéraux contenus dans les roches terrestres et extraterrestres ont l’incroyable capacité de préserver un enregistrement (appelé aimantation) des champs magnétiques auxquels ils ont été exposés. Les disciplines du magnétisme des roches et du paléomagnétisme permettent de caractériser ces minéraux, la période d’acquisition de l’aimantation, ainsi que l’intensité et l’orientation du champ magnétique qui en fût à l’origine. C’est notamment grâce à l’étude paléomagnétique de la météorite martienne ALH 84001 que l’on a compris que Mars a vraisemblablement généré un champ de dynamo il y a 4 milliard d’années. Malheureusement, les météorites aimantées de l’âge d’ALH 84001 sont quasi inexistantes. La compréhension de l’activité magnétique de Mars ne peut donc passer que par l’étude d’échantillons rapportés directement du sol martien.

En particulier, les mesures magnétiques sur les échantillons de MSR devraient permettre de reconstituer l’intensité et l’orientation du champ de dynamo martien au cours du temps, et d’approximativement dater son extinction. En corrélant ces données avec des indicateurs minéralogiques, chimiques et isotopiques, il serait possible de comprendre l’impact (ou l’absence d’impact !) de l’extinction de la dynamo sur l’évolution de la surface et de l’atmosphère de Mars, et donc sur l’évolution des conditions d’habitabilité de la planète. Ces mesures magnétiques pourraient également contraindre d’autres processus clés de l’évolution martienne, notamment la manière dont le champ a été généré, la possibilité d’une tectonique des plaques, la minéralogie de la croûte, la manière dont l’eau et les laves se sont écoulées à la surface, et même si les échantillons ont conservé des fossiles.

Fig. 1. Schéma montrant les six objectifs scientifiques relatifs au magnétisme martien. 1. Déterminer l'histoire de l'intensité du champ de dynamo martien. 2. Déterminer l'histoire de la direction du champ de dynamo martien. 3. Tester l'hypothèse selon laquelle Mars a connu une tectonique des plaques ou une dérive des pôles. 4. Déterminer l'histoire de l'altération thermique et aqueuse des échantillons. 5. Identifier les sources de l'aimantation crustale martienne. 6. Caractériser les processus sédimentaires et magmatiques sur Mars.
Fig. 1. Schéma montrant les six objectifs scientifiques relatifs au magnétisme martien. 1. Déterminer l’histoire de l’intensité du champ de dynamo martien. 2. Déterminer l’histoire de la direction du champ de dynamo martien. 3. Tester l’hypothèse selon laquelle Mars a connu une tectonique des plaques ou une dérive des pôles. 4. Déterminer l’histoire de l’altération thermique et aqueuse des échantillons. 5. Identifier les sources de l’aimantation crustale martienne. 6. Caractériser les processus sédimentaires et magmatiques sur Mars.