De la paléoclimatologie andine à la gestion des eaux sahéliennes
Florence Sylvestre vient d’être promue au grade de chevalier de la Légion d’honneur, en reconnaissance de sa carrière et de son implication dans l’enseignement supérieur et la recherche au Tchad. La chercheuse analyse les diatomées, des algues microscopiques présentes dans tous les milieux aquatiques, pour mieux connaître le climat passé et actuel. Après avoir mené ses recherches en Amérique latine, elle s’installe au Tchad où elle estime les ressources en eau du pays grâce à une approche multidisciplinaire et en partenariat avec les institutions tchadiennes.
IRD le Mag’ la met à l’honneur dans cet article.
Originaire du Sud-Est de la France, Florence Sylvestre effectue ses études de géologie au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) à Paris. À cette époque, elle rencontre Michel et Simone Servant, deux spécialistes des paléoclimats1 tropicaux à l’IRD (alors Orstom). Ils proposent à la jeune étudiante de s’envoler pour la Bolivie et d’étudier l’évolution hydrologique passée des lacs de l’Altiplano. Ils l’invitent à étudier plus particulièrement les diatomées, microorganismes unicellulaires présents dans tous les milieux aquatiques. Excellents bio-indicateurs2, ces algues renseignent sur la qualité de l’eau et apportent des informations sur l’évolution des milieux aquatiques dans lesquels elles se développent.
Passion diatomées
Durant plusieurs mois, la doctorante travaille sur des archives sédimentaires prélevées dans les lacs de ce plateau situé à plus de 3 600 mètres d’altitude et détaille dans sa thèse, pour la première fois, les variations hydrologiques et climatiques de l’Altiplano au cours des 15 000 dernières années. Le ton est donné, sur les pas de ses « parents scientifiques » comme elle les appelle, Florence Sylvestre consacrera sa carrière à l’étude des paléoclimats tropicaux et aux diatomées.
« Ces microorganismes sont fascinants, leurs squelettes de verre sont très beaux et on en compte plus de 70 000 espèces différentes, souligne-t-elle. Les diatomées sont un outil essentiel pour reconstituer les climats passés mais également analyser la qualité de l’eau. »
Littoraux brésiliens et lacs argentins
De retour en France, Florence Sylvestre est nommée maîtresse de conférence, à seulement 27 ans, à l’université d’Angers. Durant sept années, elle poursuit ses travaux sur l’Altiplano bolivien. Elle étend ses recherches à d’autres environnements de l’Amérique latine, tels que les littoraux brésiliens, guyanais et les lacs argentins. Après une expérience de six mois au Canada où elle étudie l’environnement arctique, elle devient à 35 ans directrice de recherche à l’IRD, au Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (Cerege).
Isotopes et systèmes lacustres tchadiens
La chercheuse y poursuit son travail sur l’Amérique latine mais s’intéresse dès la fin des années 2000 à l’Afrique et plus particulièrement au lac Tchad. « Tout le monde s’alarmait de sa disparition alors que selon les prédictions du changement climatique, les pluies allaient augmenter au Sahel. J’ai donc lancé un projet de recherches sur ce lac et son bassin versant et j’ai coordonné de nombreuses missions notamment au Tchad. Les résultats sont aujourd’hui confirmés : le lac Tchad n’est pas en train de s’assécher, bien au contraire ! »
En rejoignant le Cerege, Florence Sylvestre contribue au développement d’une méthodologie novatrice utilisant la composition isotopique3 de l’oxygène des diatomées comme traceur des paramètres climatiques. Elle y inclut des approches de modélisation et d’hydrologie spatiale pour mieux comprendre les systèmes lacustres et leur cycle hydrologique passé et actuel. Son objectif : estimer la ressource en eau des lacs et apporter cette expertise aux institutions locales pour une meilleure gouvernance. Le Tchad des lacs, ouvrage qu’elle a codirigé et publié en 2019 s’ancre dans cette vision et propose d’appréhender de manière multidisciplinaire la trajectoire des zones humides sahéliennes face aux enjeux des changements globaux.
Partenariat local
Après plusieurs missions de longue durée, Florence Sylvestre s’installe en 2020 au Tchad où elle est affectée au département Géologie de l’université de N’Djamena. Représentante de l’IRD au Tchad, où elle est la seule expatriée de l’Institut, elle s’emploie à mettre en place des partenariats et à former des étudiants qui sont aujourd’hui enseignants-chercheurs au sein de leur université. Elle codirige également le LMI VIABELEAUX avec le Dr Zakinet Dangbet de l’université de N’Djamena. « Seul le lac Tchad était étudié alors qu’il en existe quatre autres de grande dimension et importants pour le développement économique du pays, explique Florence Sylvestre. Grâce au LMI, des étudiants tchadiens partent sur le terrain pour étudier ces lacs en lien avec des chercheurs en sciences humaines, des géologues et des hydrologues. L’objectif est de proposer une approche de gestion intégrée et inclusive des territoires partagée par tous les acteurs locaux. » Enfin, elle s’implique pour la promotion des femmes tchadiennes dans l’Enseignement supérieur et la Recherche au côté de l’ambassade de France.
Après avoir été promue chevalier dans l’ordre national du mérite en 2014, la directrice de recherche est aujourd’hui promue au grade de chevalier de la Légion d’honneur pour son implication dans l’enseignement supérieur et la recherche au Tchad. « C’est certes la reconnaissance de mon travail et de mon implication à faire rayonner les géosciences de l’environnement, mais aussi celle et surtout des avancées de la recherche menées ici avec mes collègues tchadiens au cours de ces dix dernières années », conclut-elle.
Source IRD Le Mag’ : https://www.cerege.fr/fr/accueil-cerege/focus-florence-sylvestre-chercheuse-en-paleoclimatologie-au-service-des-populations/