Chimie
Diatomées pico- et nano-planctoniques : une importance sous-estimée dans les cycles biogéochimiques océaniques
Les diatomées sont l’un des principaux groupes de producteurs primaires des océans, responsables chaque année d’environ 20 % du CO2 fixé par photosynthèse sur Terre. Si dans les modèles biogéochimiques, elles sont généralement assimilées au microphytoplancton (20-200 µm), il existe de nombreuses diatomées appartenant au nano- (2-20 μm) voire au pico- (< 2 μm) phytoplancton. En raison de leur très petite taille, elles sont difficiles à détecter par les méthodes classiques d’observation et sont très mal caractérisées. Au cours de la campagne DeWeX-MERMEX dans le nord-ouest de la Méditerranée, une équipe de chercheurs 1 a mis en évidence une floraison printanière massive en 2013 de la plus petite diatomée connue (Minidiscus). En parallèle, l’analyse des données de métagénomique acquises au cours de l’opération Tara Oceans leur a permis de révéler une présence significative à l’échelle mondiale, et largement sous-estimée jusqu’à présent, de ces petites diatomées. Les chercheurs ont aussi démontré que ces espèces pouvaient être exportées rapidement vers les zones méso- et bathypélagiques sous forme d’agrégats et que des diatomées pico- et nanoplanctoniques pouvaient ainsi localement contribuer à la pompe biologique tout en alimentant également la boucle microbienne. |
Il est couramment admis que les floraisons printanières phytoplanctoniques ou celles déclenchées par le mélange turbulent conduisant à l’injection de sels nutritifs dans la couche de surface s’accompagnent d’un développement important de diatomées de moyenne et grande tailles, souvent de forme coloniale. Les chercheurs participant au programme DeWeX d’étude de l’efflorescence planctonique faisant suite à la convection hivernale profonde dans la zone de formation des eaux denses au large du golfe du Lion en Méditerranée Nord-Occidentale, s’attendaient ainsi à observer une floraison de diatomées dans la catégorie du microplancton. Suite à un mélange convectif ayant homogénéisé l’ensemble de la colonne d’eau sur 2500 m au cours de l’hiver 2012-2013, la floraison planctonique a été particulièrement intense et étendue. Une surprise de taille a été l’absence totale dans cette zone de diatomées de grande taille, remplacées lors de cet événement par une floraison de deux espèces du plus petit genre de diatomée connu à ce jour Minidiscus, de 2 à 5 μm, et atteignant des concentrations record de 6 millions de cellules L-1. Les chercheurs ont calculé qu’à certains sites, et notamment au centre de la zone de convection, cette diatomée pouvait représenter jusqu’à 30% du carbone organique particulaire total. Ces organismes n’ont pu être identifiés que grâce à la microscopie électronique à balayage, les techniques d’observation classique en microscopie inversée ne permettant pas de les reconnaître.
A partir d’une représentation numérique simplifiée des conditions environnementales observées en début d’efflorescence, un modèle de dynamique phytoplanctonique organisé en niches écologiques conforte l’hypothèse que seule une mortalité plus élevée (top-down) appliquée aux diatomées de grande taille et liée à la présence de brouteurs méso-zooplanctoniques permet de reproduire la dominance de ces petites diatomées au moment de l’efflorescence printanière. En parallèle de ces observations, les premières données de Tara Océans sur la diversité des diatomées, publiées en 2016, ont révélé la présence de Minidiscus dans une grande majorité d’échantillons. Une ré-analyse des données a permis d’identifier ce genre comme étant le 20ème genre de diatomées le plus abondant dans la couche de surface et le 7ème genre le plus abondant dans la couche mésopélagique, ce qui est beaucoup plus surprenant à l’échelle globale au vu du faible nombre d’observations recensées dans la littérature.
Plusieurs résultats originaux découlent de cette étude :
- La mise en évidence de diatomées de taille pico- à nano-planctonique capables de former des efflorescences importantes et de contribuer significativement à la biomasse produite, dont l’importance a probablement été très sous-estimée en raison de biais d’échantillonnage et d’observation, désormais résolus par le couplage de la microscopie à balayage et de la génomique.
- Si ces diatomées alimentent principalement la boucle microbienne en étant reminéralisées au sein de la couche de surface, elles sont aussi capables de contribuer localement à l’export de matière particulaire par le biais de processus d’agrégation.
- Ces observations confirment la nécessité d’ouvrir la boîte noire “diatomées” et d’étudier le rôle de la biodiversité réelle dans la modulation des flux des éléments biogènes au sein d’un même groupe fonctionnel.
2 mois en mer pour explorer la contribution de l’océan Austral à la régulation du climat
Mieux comprendre la séquestration du CO2 atmosphérique dans l’océan, en particulier la manière dont des éléments chimiques essentiels à ce stockage sont apportés, transportés et transformés par les océans : voici l’objectif de l’expédition océanographique Swings. Du 11 janvier au 8 mars 2021, une équipe coordonnée par deux chercheuses du CNRS et impliquant notamment des collègues de Sorbonne Université, de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, de l’Université de Bretagne Occidentale et d’Aix-Marseille Université, parcourra, à bord du Marion Dufresne II affrété par la Flotte océanographique française, l’océan Austral à la découverte de ses secrets.
L’océan Austral, qui entoure le continent antarctique, au sud des océans Atlantique, Pacifique et Indien, est une région lointaine, agitée, difficile à explorer. Il joue un rôle important mais complexe pour le captage et le stockage du CO2 atmosphérique. De nombreux facteurs sont en effet à prendre en compte, de l’activité biologique (la photosynthèse en surface, « l’export » de matière carbonée vers les abysses, sa séquestration dans les sédiments) à la circulation océanique.
Appréhender ces processus nécessite de les quantifier, ce qui est possible grâce à la mesure d’éléments dits « géochimiques » (silice, nitrate, fer, zinc, mais aussi par exemple thorium, radium et terres rares). La grande majorité de ces « traceurs » sont présents en concentrations infimes dans l’eau de mer.
- Le Marion Dufresne II naviguant dans l’océan Austral.
- Crédit : Fred PLANCHON / UBO-LEMAR
L’expédition océanographique Swings 1, qui débutera le 11 janvier et impliquera 48 scientifiques, s’inscrit ainsi dans le programme mondial Geotraces qui construit depuis 2010 un atlas chimique des océans, compilant notamment les données décrivant les cycles biogéochimiques de ces éléments « traceurs » et de leurs isotopes dans les différents océans du globe. Ces données sont acquises selon des protocoles très stricts, comparées et validées entre les différents pays et mises à disposition dans une banque de données ouverte. C’est la première fois qu’une campagne en mer aussi détaillée que Swings est menée dans l’océan Austral. Son objectif est de déterminer l’origine (atmosphérique, sédimentaire, hydrothermale, etc.) de ces éléments dont certains exercent un rôle crucial dans l’activité photosynthétique du phytoplancton (le fer et le zinc par exemple). Les scientifiques étudieront notamment leurs transformations physique, chimique et biologique, à toutes les profondeurs de l’océan Austral ainsi que leur devenir in fine : descente dans les abysses et stockage dans les sédiments 2.
Outre les scientifiques du projet Swings, l’équipe du service d’observation Oiso, qui évalue la part de CO2 issue des émissions anthropiques et l’acidification des eaux qui en résulte, embarquera sur le Marion Dufresne II durant cette expédition. Un autre programme de suivi temporel de données, Themisto, est prévu pour étudier les écosystèmes de haute-mer. Enfin, un troisième projet (MAP-IO) s’appuiera sur la plateforme du navire pour effectuer, entre autres, des mesures physiques de la distribution des aérosols et de gaz traces. La coopération scientifique est ainsi au coeur de cette nouvelle expédition, avec ces trois projets complémentaires des objectifs de Swings.
- Le Marion Dufresne II au large de l’archipel Crozet.
- Des manchots royaux sont visibles au premier plan.
Crédit : Fabien PERAULT/ CNRS/ IPEV
Les laboratoires impliqués dans le projet Swings sont :
- Laboratoire des sciences de l’environnement marin (CNRS/Ifremer/IRD/Université de Bretagne occidentale)
- Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (CNRS/Cnes/IRD/Université Toulouse III – Paul Sabatier)
- Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/ENS-PSL/École polytechnique-Institut Polytechnique de Paris/Sorbonne Université) 3
- Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (CNRS/IRD/MNHN/Sorbonne Université 3
- Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CNRS/Inrae/IRD/Aix-Marseille Université)
- Laboratoire d’océanographie microbienne (CNRS/Sorbonne Université)
- Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS/IRD/Université de Toulon/Aix-Marseille Université)
- Laboratoire Climat, environnement, couplages et incertitudes (CNRS/Cerfacs)
- Division technique de l’INSU du CNRS Cette expédition a été financée par l’ANR, par la Flotte océanique française opérée par l’Ifremer, par l’Institut national des sciences de l’univers du CNRS et par l’école universitaire de recherche IsBlue. Elle est soutenue par l’université fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées et l’Université de Bretagne Occidentale.
Voir en ligne : Le communiqué de presse sur le site du CNRS
Fête de la science : Retrouvez le programme des équipes de l’OSU Institut Pythéas
Du 7 au 15 octobre, la Fête de la Science se déploie dans la France entière et notre région n’est pas en reste.
Dans quatre Villages des Sciences – celui d’Aix-en-Provence, de l’Arbois, de Marseille et de Saint-Michel l’Observatoire – ainsi que dans d’autres villes et villages de Provence, les chercheurs des laboratoires de l’OSU Pythéas donnent plus de 60 rendez-vous aux curieux de science, petits et grands, lors d’ateliers, de conférences, d’expositions, de débats, de visites de sites…
Nos thématiques de prédilection – les sciences de l’Univers, de la Terre et de l’Environnement – s’expriment cette année d’une façon différente. En effet, la réalité augmentée s’invite afin de faire découvrir au public nos univers de recherche sous un angle nouveau, pour rendre la rencontre avec la science encore plus intéressante et intrigante. Autre nouveauté : des pièces issues des collections de l’Observatoire de Marseille.
Impact biogéochimique et écologique des îles du Pacifique
Dans les eaux pauvres du Pacifique tropical, les îles sont des sources de nutriments pour les algues photosynthétiques microscopiques, ou phytoplancton, des eaux alentour. Il en résulte un enrichissement en phytoplancton – un « bloom » – proche des îles, qui supporte les niveaux trophiques supérieurs, y compris les poissons qui sont essentiels à la survie des habitants des îles. Cet effet fertilisant, dit « effet d’île », se traduit par une augmentation de la concentration en chlorophylle (un indicateur de la biomasse phytoplanctonique) ce qui permet de l’identifier par observations satellitaires de couleur de l’eau. Les chercheurs ont développé un algorithme qui identifie automatiquement la zone enrichie par les îles à partir d’une carte de concentration en chlorophylle et l’ont appliqué à une base de données de toutes les îles du Pacifique. L’algorithme détecte des enrichissements saisonniers pour 99 % des îles, représentant 3 % de la surface du Pacifique tropical alors que les îles n’en représentent que 0.4 %. Les chercheurs ont quantifié les augmentations locales et à l’échelle du bassin de la chlorophylle et de la production primaire en comparant les eaux enrichies par effet d’île avec les eaux voisines. Ils ont aussi découvert, pour la première fois, des impacts significatifs sur la structure de la communauté phytoplanctonique et sur sa biodiversité, visibles dans les anomalies du signal de couleur de l’eau. Ces résultats suggèrent qu’en plus de forts impacts biogéochimiques locaux, les îles peuvent avoir des impacts écologiques encore plus importants.
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Effets d’île détectés à partir de données satellitaires de chlorophylle.
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Les effets d’îles sont entourés en rouge, la couleur indiquant l’augmentation en chlorophylle à côté des îles (carte moyenne et agrandissements pour certains mois de l’année).
Crédit : MIO
Le Professeur Kimitaka Kawamura nommé Dr. Honoris Causa d’Aix-Marseille Université
25 novembre 2013 à 17h au Palais du Pharo |
Le Professeur Kimitaka Kawamura, 62 ans, donnera un exposé résumant son activité de recherche. Kimitaka Kawamura est professeur de chimie, spécialisé
- dans la chimie des aérosols d’origine continentale et marine, ainsi que
- dans la géochimie organique des archives sédimentaires et glaciaires.
Après avoir réalisé une thèse en 1981 à Tokyo Metropolitan University (TMU) en 1981, il a effectué plusieurs contrats de recherche post-doctoraux qui l’ont mené de TMU à ‘l’Institute of Geophysics and Planetary Physics’ à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA : 1981-1985) puis au ‘département de chimie de Woods Hole Oceanographic Institution’ (1985-1987) aux Etats-Unis. Il a ensuite occupé une charge de Professeur associé à TMU à Tokyo jusqu’en 1996. Il est, depuis 1996, Professeur de Chimie au Low Temperature Institute de l’Université d’Hokkaido à Sapporo. Au cours de sa carrière, Kimitaka Kawamura a su développer une école d’analyse de traces organiques reconnue au niveau international. Ces études ont permis de mieux comprendre les processus de photo-oxydation atmosphériques des composés organiques émis à partir de la combustion des fuels fossiles et par activité biologique continentale et marine. La qualité de ses résultats sur l’aérosol secondaire a permis d’élaborer des raisonnements scientifiques basés sur les abondances relatives des molécules les unes par rapport aux autres. Ainsi, l’abondance relative de l’acide oxalique parmi le pool d’acides dicarboxyliques détectés ou bien le rapport acide fumarique/acide maléique sont devenus des outils permettant de comprendre l’influence de l’intensité du rayonnement solaire sur le devenir de la matière organique dans l’atmosphère. De même, il a pu démontrer avec ses collègues, la faculté des diacides à agir en tant que noyaux de condensation des nuages (CCN). En effet, ces molécules produites essentiellement par photo-oxydation des hydrocarbures émis par l’homme dans l’atmosphère peuvent favoriser la formation de nuages et participer au refroidissement de l’atmosphère. Ces résultats pourraient permettre de réduire l’effet du réchauffement climatique généré par l’émission de CO2 à partir de combustion de ces mêmes fuels fossiles. Dans une deuxième partie de carrière, ces études ont été étendues aux carottes glaciaires dans le cadre de programmes de recherches japonais, canadiens et américains et ont ouvert des perspectives exaltantes sur le rôle des aérosols dans le climat passé. Il a par ailleurs étendu son panel de techniques en abordant désormais les analyses isotopiques sur des composés organiques individuels accédant ainsi à l’origine précise des composés organiques. Le professeur Kawamura a pu découvrir et apprécier notre université lors d’un co-encadrement d’une thèse de doctorat et durant son séjour au LMGEM/M I O sur un poste de professeur invité. Le professeur Kawamura est un chimiste environnemental mondialement reconnu, auteur ou co-auteur de 279 publications indexées.