Les océans, en absorbant une partie du CO2 présent dans l’atmosphère, contribuent à réguler le climat à l’échelle mondiale. Par photosynthèse, les micro-algues des eaux de surface transforment ce CO2 en carbone organique. Celui-ci est ensuite transféré vers l’océan profond où il est séquestré pour plus d’un siècle. Dans ce transfert qui constitue une véritable « pompe biologique de carbone », les diatomées (micro-algues à carapace siliceuse) jouent un rôle essentiel. Une équipe internationale 1, menée par des chercheurs de l’Institut universitaire européen de la mer (UBO, CNRS, IRD), a montré que le transfert de carbone dans l’océan profond dû aux diatomées avait été sous-estimé. Les scientifiques révèlent également que toutes les espèces de diatomées n’ont pas le même potentiel dans ce transfert. Enfin, ils démontrent que les prédictions du devenir des diatomées dans l’océan du futur reposent sur des modèles trop simplifiés du système océan. Cette étude, qui combine des approches novatrices pluridisciplinaires, est parue dans la revue Nature Geoscience, le 18 décembre 2017.
Océan
2 mois en mer pour explorer la contribution de l’océan Austral à la régulation du climat
Mieux comprendre la séquestration du CO2 atmosphérique dans l’océan, en particulier la manière dont des éléments chimiques essentiels à ce stockage sont apportés, transportés et transformés par les océans : voici l’objectif de l’expédition océanographique Swings. Du 11 janvier au 8 mars 2021, une équipe coordonnée par deux chercheuses du CNRS et impliquant notamment des collègues de Sorbonne Université, de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, de l’Université de Bretagne Occidentale et d’Aix-Marseille Université, parcourra, à bord du Marion Dufresne II affrété par la Flotte océanographique française, l’océan Austral à la découverte de ses secrets.
L’océan Austral, qui entoure le continent antarctique, au sud des océans Atlantique, Pacifique et Indien, est une région lointaine, agitée, difficile à explorer. Il joue un rôle important mais complexe pour le captage et le stockage du CO2 atmosphérique. De nombreux facteurs sont en effet à prendre en compte, de l’activité biologique (la photosynthèse en surface, « l’export » de matière carbonée vers les abysses, sa séquestration dans les sédiments) à la circulation océanique.
Appréhender ces processus nécessite de les quantifier, ce qui est possible grâce à la mesure d’éléments dits « géochimiques » (silice, nitrate, fer, zinc, mais aussi par exemple thorium, radium et terres rares). La grande majorité de ces « traceurs » sont présents en concentrations infimes dans l’eau de mer.
- Le Marion Dufresne II naviguant dans l’océan Austral.
- Crédit : Fred PLANCHON / UBO-LEMAR
L’expédition océanographique Swings 1, qui débutera le 11 janvier et impliquera 48 scientifiques, s’inscrit ainsi dans le programme mondial Geotraces qui construit depuis 2010 un atlas chimique des océans, compilant notamment les données décrivant les cycles biogéochimiques de ces éléments « traceurs » et de leurs isotopes dans les différents océans du globe. Ces données sont acquises selon des protocoles très stricts, comparées et validées entre les différents pays et mises à disposition dans une banque de données ouverte. C’est la première fois qu’une campagne en mer aussi détaillée que Swings est menée dans l’océan Austral. Son objectif est de déterminer l’origine (atmosphérique, sédimentaire, hydrothermale, etc.) de ces éléments dont certains exercent un rôle crucial dans l’activité photosynthétique du phytoplancton (le fer et le zinc par exemple). Les scientifiques étudieront notamment leurs transformations physique, chimique et biologique, à toutes les profondeurs de l’océan Austral ainsi que leur devenir in fine : descente dans les abysses et stockage dans les sédiments 2.
Outre les scientifiques du projet Swings, l’équipe du service d’observation Oiso, qui évalue la part de CO2 issue des émissions anthropiques et l’acidification des eaux qui en résulte, embarquera sur le Marion Dufresne II durant cette expédition. Un autre programme de suivi temporel de données, Themisto, est prévu pour étudier les écosystèmes de haute-mer. Enfin, un troisième projet (MAP-IO) s’appuiera sur la plateforme du navire pour effectuer, entre autres, des mesures physiques de la distribution des aérosols et de gaz traces. La coopération scientifique est ainsi au coeur de cette nouvelle expédition, avec ces trois projets complémentaires des objectifs de Swings.
- Le Marion Dufresne II au large de l’archipel Crozet.
- Des manchots royaux sont visibles au premier plan.
Crédit : Fabien PERAULT/ CNRS/ IPEV
Les laboratoires impliqués dans le projet Swings sont :
- Laboratoire des sciences de l’environnement marin (CNRS/Ifremer/IRD/Université de Bretagne occidentale)
- Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (CNRS/Cnes/IRD/Université Toulouse III – Paul Sabatier)
- Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/ENS-PSL/École polytechnique-Institut Polytechnique de Paris/Sorbonne Université) 3
- Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (CNRS/IRD/MNHN/Sorbonne Université 3
- Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CNRS/Inrae/IRD/Aix-Marseille Université)
- Laboratoire d’océanographie microbienne (CNRS/Sorbonne Université)
- Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS/IRD/Université de Toulon/Aix-Marseille Université)
- Laboratoire Climat, environnement, couplages et incertitudes (CNRS/Cerfacs)
- Division technique de l’INSU du CNRS Cette expédition a été financée par l’ANR, par la Flotte océanique française opérée par l’Ifremer, par l’Institut national des sciences de l’univers du CNRS et par l’école universitaire de recherche IsBlue. Elle est soutenue par l’université fédérale de Toulouse Midi-Pyrénées et l’Université de Bretagne Occidentale.
Voir en ligne : Le communiqué de presse sur le site du CNRS
Impact de la biologie des océans sur les émissions d’embruns
Une des voies par lesquelles les océans influencent le climat est l’émission d’embruns marins qui peuvent ensuite influencer les propriétés des nuages. Les émissions d’embruns marins dépendent de paramètres atmosphériques (force du vent) et océaniques (hauteur de vague, température de l’eau). Quant au rôle potentiel de la biologie océanique sur les flux d’embruns marins, plus complexe, il reste encore incertain.
Une équipe internationale vient de montrer qu’il existait une relation entre le nano-phytoplancton présent dans l’eau de mer et les flux de noyaux de condensation nuageuse portés par les embruns marins. Cette relation a été mise en évidence sur la base de l’analyse d’embruns émis par la mer dans trois régions océaniques : mer Méditerranée (campagne PEACETIME financée à l’interface CHARMEX-MERMEX par le programme MISTRALS), océan Arctique (programme IPEV MACA/chantier arctique PARCS) et océan Pacifique Sud (ERC Sea2Cloud). Les mesures réalisées indiquent que cet impact de la biologie des océans sur les émissions d’embruns peut augmenter les flux d’embruns de plus d’un ordre de grandeur.
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Vue du « Pourquoi Pas » lors de la campagne PEACETIME.
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Crédit : Cécile Guieu
Voir en ligne :
Océan profond : à la recherche des microbes vivant sur la neige marine
Lorsque le plancton vivant à la surface de l’océan meurt, il se décompose et ses restes s’enfoncent sous forme particulaire vers les grandes profondeurs. Cette matière en décomposition, appelée « neige marine », ressemble étrangement à des flocons de neige. Ce phénomène représente l’une des principales « pompes biologiques » de CO2 atmosphérique vers l’océan. Il fournit également des nutriments et l’énergie essentielle à de nombreuses créatures des profondeurs. Dans ce contexte, une des principales inconnues est le lien entre diversité et activité des procaryotes (essentiellement des bactéries et quelques archées) impliqués dans la dégradation de ces particules.
Au cours d’une campagne océanographique dans l’Atlantique Nord, les chercheurs d’une équipe internationale1 ont utilisé un instrument spécialement conçu pour collecter et étudier ces particules rares et très fragiles. Ils ont à la fois mesuré la production de biomasse et réalisé des analyses génétiques des procaryotes qui leur sont associés. Ils ont ainsi pu évaluer avec précision l’activité des différentes familles de procaryotes impliquées dans la dégradation de ces particules de neige marine.
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La neige marine dans les océans.
Crédit : Virginie Riou
Ils ont constaté que l’activité des procaryotes et la richesse de leur famille sont radicalement différentes selon la vitesse de chute des particules présentes dans la zone mésopélagique et que les procaryotes attachés aux particules ensemencent les profondeurs de l’océan par détachement ou fragmentation des particules. Ces résultats mettent en évidence le rôle crucial des particules en chute dans la formation et le maintien des communautés procaryotiques des grands fonds marins. Ils montrent également l’importance de ces communautés comme facteur déterminant de l’efficacité de la pompe biologique de carbone dans les profondeurs de l’océan.
Cette approche, qui relie l’occurrence des gènes de la communauté procaryotique à la pompe biologique de carbone, est une approche prometteuse qui permettra des prévisions plus précises de la biogéochimie de l’écosystème profond à l’échelle mondiale.
Voir en ligne : L’article sur le site de l’INSU
Pollution atmosphérique en Méditerranée occidentale
Pour la première fois, une équipe internationale 1 de chercheurs de l’Institut méditerranéen d’océanographie (MIO/PYTHÉAS, CNRS / Université de Toulon / IRD / AMU) et du Laboratoire de chimie de l’environnement (CNRS / AMU) ont réalisé une analyse comparative de l’occurrence atmosphérique des polluants organiques persistants au niveau des marges africaines et européennes de la Méditerranée occidentale. Cette étude met en évidence une pollution différenciée entre Bizerte (Tunisie) et Marseille (France), dépendant de la nature des polluants. |
Il est admis que la mer Méditerranée est largement impactée par les polluants organiques persistants (POPs), mais leurs effets sur les écosystèmes et le cycle du carbone sont encore peu étudiés. La présence atmosphérique de POPs sur la côte nord-ouest de la Méditerranée africaine est quant à elle très mal documentée. Par ailleurs, des observations comparatives sur les marges africaine et européenne de la mer Méditerranée n’avaient encore jamais été réalisées.
Des échantillons d’aérosols atmosphériques, collectés simultanément en 2015 – 2016 dans deux villes côtières de référence, en Afrique (Bizerte, Tunisie) et en Europe (Marseille, France), ont été analysés pour 62 contaminants organiques toxiques appartenant aux trois plus importantes familles de POPs :
- les polychloro dibenzo-p-dioxines et les dibenzofuranes (PCDD/Fs), connus sous le nom générique de “dioxines” et produits dans les processus de combustion ;
- les polychlorobiphényles (PCBs), considérés comme des contaminants industriels classiques ;
- les polybromodiphényléthers (PBDE) qui, contrairement aux PCDD/Fs et aux PCBs, sont considérés comme une première génération de “contaminants émergents” (seulement récemment interdits) et plus associés à la période actuelle.
L’étude révèle des valeurs médianes 2 de concentrations et d’apports atmosphériques des dioxines et des PCBs plus élevées du côté africain (exposition potentielle plus élevée), tandis que les niveaux médians de concentrations et d’apports des PBDE “émergents” sont plus élevés du côté européen. Par ailleurs, bien que des sources locales sur le bord nord-ouest méditerranéen de l’Afrique ne soient pas écartées, les auteurs avancent comme hypothèse un éventuel transfert de l’Europe vers l’Afrique des stocks atmosphériques de PBDE (ceci reste à confirmer avec des observations supplémentaires).
Ce travail répond à un objectif majeur du programme MERMEX-MERITE/MISTRALS d’études sur l’intercomparaison des produits chimiques toxiques sur les côtes africaines et européennes de l’ouest de la Méditerranée. Réalisé sous la responsabilité du MIO et dans le cadre global du Labex OT-MED (MEDPOP), ce travail est le fruit d’une collaboration avec plusieurs laboratoires espagnols et tunisiens dans le cadre du LMI-Cosysmed de l’IRD. D’autres travaux sur l’impact de ces contaminants sur les écosystèmes marins sont en cours au MIO.
Une synthèse des différentes écorégions de la mer Méditerranée
Avec le soutien du programme MERMEX/MISTRALS du CNRS-INSU, une équipe internationale(1) vient de réaliser une synthèse des différentes régionalisations proposées jusqu’ici pour la mer Méditerranée. Cette synthèse constitue un référentiel spatial pertinent pour la mise en place de futures actions de gestion et de protection des écosystèmes marins en Méditerranée. Elle permettra également de guider les futures études écologiques et biogéochimiques en mer Méditerranée, en aidant notamment à la planification de campagnes en mer. |
Les écosystèmes marins et les services écosystémiques associés sont soumis à de fortes pressions climatiques et anthropiques. Ceci est particulièrement vrai pour la mer Méditerranée, en raison de sa configuration semi-fermée et de la concentration croissance d’activités humaines. Cependant, l’absence d’un référentiel géographique consensuel complique la description, la gestion et la conservation des écosystèmes marins en Méditerranée. Un tel référentiel devrait se baser sur la définition objective d’entités spatiales (ou “écorégions”) caractérisées par des conditions physiques, chimiques et biologiques relativement homogènes. Or plusieurs régionalisations ont été proposées ces dernières années pour la mer Méditerranée, chacune se basant sur des critères différents, parfois complémentaires, comme les conditions physico-chimiques, les contraintes de transport imposées par la circulation océanique, la concentration de la chlorophylle de surface estimée par satellite, ou encore la distribution modélisée d’un grand nombre d’espèces pélagiques. La synthèse de ces différentes régionalisations était nécessaire puisqu’elle constitue un prérequis pour proposer des mesures de gestion et de conservation adaptées.
Avec le soutien du programme MERMEX/MISTRALS, des chercheurs 1 ont fait la synthèse des différentes régionalisations proposées jusqu’ici pour la surface de la mer Méditerranée. En quantifiant la congruence entre ces différentes régionalisations, ils ont identifié des zones consensus et des zones variables. Ils ont ainsi identifié neuf “zones frontières consensus”, 11 “régions consensus”, et 4 “régions hétérogènes et dynamiques”. Les frontières et régions consensus identifiées sont en accord avec les principales structures hydrodynamiques connues en Méditerranée et contraignant les variables hydrologiques et écologiques. En revanche, les régions hétérogènes sont plutôt définies par une forte activité hydrodynamique à mésoéchelle.
Cette synthèse, constitue une première étape indispensable pour la mise en place de futures actions de gestion et de protection des écosystèmes marins méditerranéens, et en particulier pour l’application de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM). Elle propose également un référentiel spatial qui permettra de guider les futures études écologiques et biogéochimiques en mer Méditerranée, comme la planification de campagnes en mer.