Terre
Le site de construction d’un navire antique révélé par la géologie des carbonates
Une équipe interdisciplinaire incluant des scientifiques du CNRS a analysé le lest de l’épave du navire romain Ilovik-Paržine 1, trouvée en 2016 dans la baie de Paržine, sur la côte de la petite île croate d’Ilovik, en mer Adriatique. L’analyse des roches carbonatées a révélé qu’elles provenaient probablement de la région de Brindisi, en Italie. Cette découverte suggère que le navire a été construit dans un chantier naval de cette ville antique ou de ses environs. Les résultats ont été publiés dans Journal of Archaeological Science: Reports.
Entre 2018 et 2022, les fouilles menées par le Croatian Conservation Institute de Zagreb et le CCJ (programme « Adriboats ») ont révélé que le navire, mesurant environ 21,5 mètres de long et 6,5 mètres de large, transportait du bois et des amphores à vin. Les datations au radiocarbone et la typologie des céramiques ont établi une date du naufrage entre 170 et 130/120 av. J.-C.
Les analyses sédimentologiques, pétrographiques, micropaléontologiques et géochimiques des roches du lest ont montré que la quasi-totalité du lest est constituée de calcarénites quartzeuses, d’âge Pléistocène1 supérieur, déposées en milieu marin côtier. Une mission de terrain visant à analyser les formations marines du Pléistocène des côtes adriatiques et ioniennes de l’Italie a permis une comparaison directe avec les roches du lest.
La grande homogénéité de la composition du lest du navire suggère qu’il s’agit d’un lest permanent, chargé lors de la construction du navire dans un chantier naval à Brindisi ou dans un port voisin. Une seconde hypothèse serait de considérer Brindisi, ou un port voisin, comme port d’attache permanent de ce navire, d’où le volume de lest était ajusté avant chaque voyage. Le lieu du naufrage indique que le navire se dirigeait probablement vers une ville du nord de l’Adriatique comme l’importante colonie d’Aquilée.
Lancement de la campagne océanographique franco-vietnamienne “PLUME”
Plus d’une trentaine de scientifiques français et vietnamiens se relaieront au cours des cinq étapes et quatre escales de la campagne océanographique PLUME pour étudier les panaches fluviaux (les langues superficielles d’eaux turbides et peu salées entrant en mer à l’embouchure des fleuves et flottant sur des dizaines de kilomètres) et leur impact sur la qualité de l’eau et le fonctionnement de l’océan côtier. À bord de l’Antea, l’équipe mène des activités aussi diverses que la collecte d’eau, de sédiments, de microorganismes benthiques, de plancton, de larves de poissons, de microplastiques, la mesure de paramètres physiques, physico-chimiques et optiques, le suivi de bouées dérivantes et des mesures altimétriques, le tout à l’aide d’un arsenal d’instruments et d’équipements scientifiques de pointe. Les études vont de l’échelle microscopique à l’échelle macroscopique, de l’analyse des gènes (pour estimer la résistance aux antibiotiques) à la variabilité du niveau de la mer (pour mieux interpréter leurs mesures par satellite dans les eaux côtières).
Les principaux objectifs scientifiques de PLUME sont :
- Évaluer la variabilité des processus hydro-sédimentaires estuariens et améliorer les connaissances sur les mécanismes et les processus agissant dans les zones de mélange ;
- Étudier le transport, la dispersion et l’évolution des masses d’eau et de leur contenu en matières dissoutes et particulaires ;
- Déterminer les concentrations, la distribution, les sources potentielles et les flux de divers matériaux naturels et anthropogéniques (y compris les nutriments, les métaux, le mercure, les contaminants émergents, le carbone noir, les microplastiques…) pendant le mélange des eaux douces avec les eaux de mer ;
- Mesurer l’abondance, la productivité et la diversité des organismes planctoniques, principalement le bactério- et le phytoplancton, le long du gradient de salinité des rivières à l’océan côtier ;
- Estimer l’effet des activités humaines sur les écosystèmes côtiers.
Plusieurs organismes ont directement contribué au financement de PLUME : l’IRD, la FOF-IFREMER avec la mise à disposition du navire et de son équipage Genavir, la VAST, le CNRS et Pure Ocean.
Les principaux laboratoires français impliqués sont : le LEGOS (Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales, CNES/CNRS/IRD/Université Toulouse Paul Sabatier) , le MIO (Institut Méditerranée d’Océanologie, Aix-Marseille Univ/CNRS/IRD/Université de Toulon), l’IGE (Institut de Géosciences de l’Environnement, CNRS/INRAE/IRD/Université Grenoble Alpes), le LOG (Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences, CNRS/Université de Lille / Université Littoral Côte d’Opale), le laboratoire MARBEC (Biodiversité Marine, Exploitation et Conservation, CNRS/Ifremer/IRD/Université de Montpellier) et la Division Technique de l’INSU (CNRS).
Les principaux instituts vietnamiens impliqués sont : IMER (Institute of Marine Environment and Resources), USTH (University of Sciences and Technology of Hanoi), ISTEE (Institute of Science and Technology for Energy and Environment), et CARE/HCMUT (Center of Asian Research on watEr/Ho Chi Minh City University of Technology).
Projet HOPE : une bouée intelligente pour étudier la capacité des océans tropicaux à piéger le carbone
Le projet HOPE vise à étudier la capacité des océans tropicaux à séquestrer du CO2. Financé par la bourse européenne ERC Consolidator, soutenu par le CNRS via son Parc national d’instrumentation océanographique (PNIO), HOPE est porté par Sophie Bonnet, océanographe à l’IRD. Le 2 mars 2024, une bouée intelligente à la pointe de la technologie, mesurant cinq mètres de diamètre, munie de capteurs innovants communiquant entre eux et avec la terre sera déployée dans le Pacifique Sud, au large de la Nouvelle-Calédonie. Ce dispositif permettra d’échantillonner simultanément l’océan en surface comme en profondeur toutes les quatre heures pendant quatre ans, et retransmettra ses données (biodiversité, chimie, physique) en temps réel aux océanographes à terre. Une prouesse technologique jamais égalée dans le domaine de l’océanographie qui ouvre de nouvelles perspectives dans la compréhension des liens océan-climat.
Asie centrale : changement brutal des précipitations et de la végétation il y a 56 millions d’années
Dans le but de mieux appréhender notre futur, une équipe internationale, dans le cadre du consortium de recherche “VeWA” et dans laquelle le CNRS Terre & univers est impliqué (voir encadré), explorent les anciennes périodes chaudes de l’histoire de la Terre. Leur étude montre qu’une augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère il y a 56 millions d’années a entraîné un changement brutal des précipitations et de la végétation en Asie centrale.
Afin de reconstituer les régimes de précipitations de la période chaude du début du Paléogène, les chercheurs ont combiné leur expertise pour développer une approche multi-proxy innovante dans laquelle ils ont combiné du pollen et des spores fossiles ainsi que des données géochimiques provenant de sols fossiles. Au cours de l’événement hyperthermal étudié, les précipitations ont temporairement doublé en raison des températures plus élevées et la steppe régionale a été remplacée par un paysage forestier. Les sols se sont asséchés en hiver, ce qui signifie que, contrairement aux attentes, la plupart des précipitations sont tombées pendant la période estivale – ce qui est comparable à la mousson moderne.
Les scientifiques associent cet évènement hyperthermal au maximum de température du paléocène/éocène, une phase de réchauffement de la planète associée à une augmentation considérable des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et les océans de la Terre. Au cours de cette période, la température globale a augmenté en moyenne de six degrés Celsius en l’espace de quelques milliers d’années. Leurs recherches montrent qu’en Asie cet évènement s’est accompagné de conditions exceptionnellement humides et à une expansion des précipitations vers l’intérieur des terres, qu’ils ont appelée proto-mousson. Ce travail fournit des informations paléoclimatiques sur le climat de l’Asie centrale d’une réponse abrupte et non linéaire des moussons asiatiques aux conditions extrêmes de l’effet de serre et mettent en évidence la possibilité de changements brusques dans le cadre d’un réchauffement planétaire futur. Le réchauffement actuel impose des températures extrêmes et une sécheresse accrue sur la steppe d’Asie centrale, ainsi que sur sa flore et sa faune fragiles, qui sont déjà menacées par l’utilisation anthropique des sols. Des changements abrupts encore plus spectaculaires sont attendus si les températures continuent d’augmenter.